L'affaire Medina

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?? En 1814 le roi Louis XVIII envoya enfin trois agents dans l'île: Dauxion Lavaysse, Draverman et Franco Medina, pour traiter avec les Haïtiens sur leur retour sous la domination française. Tandis que le premier d'entre eux fut reçut par Pétion, Président du Sud, Christophe fit enfermenr dès son arrivée le troisième, ancien colon, comme étant coupable d'espionnage. Pendant quatre ans il demeura dans la prison du Cap; après ce temps on n'entendit plus parler de lui. ??

LA RÉPUBLIQUE D'HAÏTI
TOME II
ÉCHOS D'HAÏTI
J. Verschueren





Royaume d'Hayti

Déclaration du Roi

Pleine de confiance dans la justice de notre cause et dans la légitimité de nos droits; prenant Dieu et l'univers pour juges dans les prétentions injustes et tryanniques des français, et n'ayant point de secret à garder envers notre peuple, nos intérêts étant les mêmes et liés d'une manière indissoluble, nous nous sommes fait une impérieuse loi de traiter publiquement, et de la manière la plus solennelle les affaires qui ont rapport à la liberté et à l'indépendance du peuple haytien.

        Mûs par ces sentiments, nous avons fait publier toutes les ouvertures et toutes les propositions qui nous ont été faites de la part du cabinet français, soit directement ou indirectement. Nous avons cru devoir nous écarter de la polituqe ordinaire des gouvernements, et par notre conduite franche et loyale, nous avons exprimé nos sentiments, et nous avons fait connaître notre inébranlable résolution de vivre libres et indépendants ou mourir.

        C'est dans ces vues, que nous publiâmes notre Manifeste du 18 Sptembre 1814, dans lequel nous exposâmes sous les yeux des souverains et des peuples, la justice de la cause et des droits du peuple haytien à la liberté et à l'indépendance.

        Alors l'Europe venait d'être délivrée de l'oppression de la France. Après vingt-cinq années de guerre, de luttes et de combats, les peuples commençaient à jouir des bienfaits de la paix; Louis XVIII venait d'être rétabli sur le trône de France par les puissances alliées; il était à présumer que sous un prince, que l'on dit éclairé et ennemi des

préjugés, et qui avait éprouvé de longs malheurs, le cabinet français revenu à des principes plus humains, plus justes et plus libéraux, aurait changé son système perfide et destructeur envers le peuple haytien; il était à présumer que la France satisfaite de lier des relations commerciales avec nous, à l'instar des autres nations, aurait renoncé à vouloir subjuguer un peuple, dont elle avait déjà fait vainement l'essai de ses forces pour pouvoir l'asservir; il était à présumer que Sa Majesté Louis XVIII, mûe par des sentiments de justice et d'humanité, aurait reconnu notre indépendance, et par cet acte de justice, réparé et effacé les maux incalculables que nous avions éprouvés des français sous le gouvernement de Bonaparte

; il était enfin à présumer que par nos constants et généreux efforts à combattre et détruire les armées de l'oppresseur de l'Europe, qu'au rétablissement de la paix générale, nous eussions mérité de jouir de quelques avantages, puisque nous avions supportés tous les fléaux d'une guerre barbare et destrcutive; nos juste espérances étaient fondées sur les principes moraux de justice et d'équité qui dirigent les souverains et les peuples éclairés de l'Europe.

        Le traité de Paris se fit et il ne fut pas question d'Hayti; la France se réserva, et les puissances lui laissèrent le droit de conquérir Saint Domingue; et malgré la noble, généreuse et maganime opposition du peuple et du gouvernement britannique, pour faire renoncer la France à la traite des esclaves, elle conserva dans le traité de Paris, le privilège de faire pendant cinq ans cet odieux trafic, uniquement pour se conserver les moyens de pouvoir remplacer la population d'Hayti, dans le cas où elle l'eut détruite dans la guerre d'extermination, qu'elle avait en vue de nous faire.

        Au mépris de l'acte d'indépendance du 1er Janvier 1804, où le peuple haytien, poussé jusqu'à l'exaspération par les injustices, les cruautés et les crimes inouis des français, a déclaré à l'univers entier avoir renoncé à jamais à la France et de mourir plutôt que de se soumettre à sa cruelle, tyrannique et injuste domination. Au mépris de notre susdit Manifeste, où nous avons exprimé les justes motifs qui nous ont porté à proclamer notre indépendance, et la résolution où nous étions de nous ensevelir sous les ruines de notre pays, plutôt que de souffrir qu'il soit porté atteinte à nos droits politiques. Au mépris du droit des gens de raison et de morale, contre tous les principes d'humanité, de justice et d'équité, le cabinet français conçut et résolut l'odieux projet de faire rentrer le peuple haytien dans toutes les horreurs de l'esclavage, dont il en était sorti, après vingt-cinq ans de combats, de luttes et de sacrifices.

        L'histoire des attentats et des crimes commis sur le genre humain par les plus cruels tyrans, ne présente pas un semblable exemple, mais ce que le monde aura peine à croire, si des faits et des pièces irrécusables ne lui attestaient la vérité, à la honte de la France et du siècle éclairé, où nous vivons, le cabinet de Louis XVIII n'a pas hésité à employer les mêmes perfides moyens qu'avaient employés le cabinet de Bonaparte pour nous faire tomber dans ses pièges, afin de nous réduire dans l'esclavage; c'était dans ses perfides intentions, que le cabinet français envoya trois agens, ou plutôt disons mieux, trois émissaires, chargé de prendre les mesures préliminaires et nécessaires à l'exécution de ses criminels projets, comme il est facile de s'en convaincre à la lecture des pièces officielles qui concernent ces émissaires [1]. Le monde entier est instruit comme s'est terminé cette mission d'espionnage et de corruption, à la honte du ministre et du gouvernement qui l'avait ordonnée.

        Dans la lettre à nous écrite par Dauxion Lavaysse, chef de cette mission, on y lit, au mileu des promesses les plus fallacieuses, les plus sanglans outrages et la menace d'exterminer [le] peuple hayitien, et de remplacer sa population par d'autres infortunés arrachés du sein de l'Afrique, et pour pouvoir encore mieux nous intimider, nous sommes menacé de la coopération des puissances maritimes de l'Europe, si nous ne consentions à rentrer sous le joug de la France et de l'esclavage.

        Fidèles à nos principes, de prendre toujours le peuple pour juge dans sa propre cause, nous avons mis les propositions des français sous les yeux du conseil général de la nation solennellement convoquée pour cet effet. La grande, noble, magnanime résolution que le peuple haytien a prise d'être exterminée jusqu'au dernier, plutôt que de renoncer à la liberté et à l'indépendance, est connue de l'Europe et de l'Amérique.

        Dans cette circonstance les nouvelles preuves de zèle, d'amour et de fidélité que nous avons reçues de nos concitoyens unanimement ont été un devoir pour nous de contracter de nouvelles obligations, de consacrer notre vie entière pour les rendre tous libres, heureux et indépendants.

        Dans la lettre écrite au général Pétion, à travers les flatteries, dont cet émissaire a comblé son complice, on y trouve la menace, au peuple haytien d'une portion de l'Ouest et du Sud, d'être traité comme sauvages malfaisans et traqués comme des nègres marrons.

        L'histoire jugera comment celui qui avait osé écrire une menace aussi odieuse a pu se rendre au Port-au-Prince, après l'avoir écrite, et elle jugera comment le chef à qui elle était adressée, a pu accueillir, avec les plus grands égards, l'homme qui avait osé la faire.

        Pendant que l'un de ces émissaires, il faut le dire à notre honte, marchandait avec un traître les droits civils et politiques du peuple haytien au Port-au-Prince, le second se rendait en France pour apporter les premières nouvelles, et le troisième appelé Medina, s'introduisait dans le Nord du Royaume, pour exécuter sa mission; les instructions secrètes (dont il était porteur) de M Malouet, alors ministre de la marine et des colonies, démontrant clairement à l'univers entier quelles étaient et quelles sont les véritables intentions du cabinet français à l'égard du peuple haytien: il faut lire ces instructions pour bien se pénétrer de la politique perfide, artificieuse et abominable de ce cabinet.

        On y découvre le grand plan, le plan favori du cabinet français et toujours gouverné par des ex-colons, qui est de nous diviser, pour armer une partie de la population contre l'autre. Ils ne savent donc pas quelles que soient les dissenssions et la différence d'opinion, qui peuvent exister entre les haytiens, qu'à la voix de la patrie, ils étoufferont tous sentiments d'animosité, et qu'ils seront toujours d'accords et réunis, lorsqu'il s'agira de combattre les français; ils ne savent donc pas que toutes les promesses qui auraient pu leur être faites, par un factieux, devenaient illusoires à leur exécution, étant contre les intérêts et la volonté du peuple; ils ne savent donc pas que la cause des haytiens des deux couleurs est une et inséparable; que leurs intérêts sont communs, liés d'une manière indissoluble; que tous embarqués sur le vaisseau de l'indépendance, il faut que nous sauvions du naufrage ou que nous périssions avec lui; c'est donc en vain que les français font tous leurs efforts pour pouvoir nous diviser; le peuple haytien sera toujours d'accord sur ce point, de les combattre jusqu'à extinction, plutôt que de jamais se soumettre sous le joug de la France et de l'esclavage.

        Nous connaissons trop bien la politique artificieuse et les intentions criminelles des français à notre égard, pour jamais tomber dans les pièges qu'ils pourraient encore nous tendre. Il nous est bien facile de nous figurer dans quel abîme de maux nous nous serions plongés, si nous eussions été assez aveugles ou assez faibles pour nous laisser éblouir par leurs promesses fallacieuses, ou nous intimider par leurs odieuses menaces: si nous avions eu le malheur ou l'imprudence d'ajouter foi au cabinet de Louis XVIII, nous autions été victimes comme sous Bonaparte, de notre confiance et de notre aveugle crédulité. Pour se former une juste idée de ces grandes vérités, il faut lire les lettres que ces émissaires nous ont écrites, les comparer avec les instructions secrètes du ministre Malouet, dont ils étaient porteurs, ainsi que l'interrogatoire de Medina, l'un d'eux, le cabinet français n'a pas désavoué cette mission d'espionnage et de corruption. Sa Majesté Louis XVIII a manifesté seulement son profond mécontentement de la manière maladroite, dont les agens s'étaient pris pour l'exécuter; il n'en est pas moins vrai, et du propre aveu de M Beugnot (?), successeur de M Malouet dans le ministère de la marine et des colonies, qu'ils étaient chargés de recueillir et de transmettre des renseignements sur l'état de la colonie, et en parcourant leurs instructions, l'on pourra se convaincre que les agens français s'y sont conformés ponctuellement, tant dans les lettres qu'ils ont écrites, que dans la conduite qu'ils ont tenue envers les chefs et le peuple haytien; l'on y trouve même jusqu'à la menace de l'exterminer, s'il ne voulait se ployer à rentrer sous le joug de l'esclavage, et de la coopération des puissances européennes, pour y parvenir.

        Il est tellement vrai que le cabinet français avait goûté ce projet abominable, que les ex-colons écrivaient et imprimaient librement des millers de brochures où étaient consignés, avec la dernière impudence, des plans et des projets de destruction dont la seule idée fait frémir la nature, et qui répugnent à la religion, à la morale et aux lumières du siècle où nous vivons. Ces pamphlétaires proposaient de faire exterminer notre génération, sans distinction d'âge ni de sexe, les seuls enfants au dessous de six ans devaient être exceptés, pour être conservés dans l'esclavage, parceque ces innocentes créatures n'auraient pas eu encore le temps de recevoir les premières impressions de la liberté.

        D'après les pamphlets des ex-colons, les lettres des agens français et les instructions dont ils étaient porteurs, d'après toutes les pièces authentiques que nous avons sous les yeux, n'est-il pas démontré jusqu'à l'évidence même que le cabinet français de Louis XVIII, comme celui de Bonaparte, avait adopté ce projet de destruction, de crimes et de sang.

        Tandis que cette mission d'espionnage s'exécutait à Hayti, la France préparait, dans tous ses ports, une expédition pour ajouter les effets aux menaces.

        Personne ne peut douter, aujourd'hui, que le cabinet français nous proposait pour toute alternative, la mort ou l'esclavage.! Personne ne peut douter qu'il avait mis le peuple haytien, hors du cercle des relations sociales, qu'il avait violé les lois divines et humaines à notre égard et que nous devions être détruits comme des bêtes féroces, comme la population primitive de l'île l'avait été dans un siècle d'ignorance et de barbarie.

        La rentrée de Bonaparte en France empêcha le départ de cette expédition, et recula encore pour quelque temps, les projets des français.

        Des vues politiques portèrent Bonaparte à abolir la traite: il fit sonder par ses agens, nos dispositions à l'égard de la France, ses propositions furent rejetées avec mépris. Pendant l'intervalle de la seconde restauration de Louis XVIII, le gouvernement français, embarrassé de ses propres affaires, fut contraint de ne point s'inquiéter de nous.

        Mais à peine Louis XVIII étit-il rétabli sur son trône, par les puissances alliées, que les ex-colons recommencèrent leurs intrigues; ils employèrent des agens subalternes et stipendiés pour nous faire des ouvertures indirectes, qui ont été rendues publiques par la voie de l'impression; le cabinet français n'étant pas en mesure de pouvoir agir ouvertement, nous laisse paisiblement, jusques dans ce moment, où il vient de recommencer ses nouvelles et inutiles tentatives.

        Qui aurait jamais pu croire, d'après ce qui s'est passé depuis vingt-sept ans, entre les haytiens et les français, et tout récemment, la connaissance exacte que nous avons acquise de leurs véritables intentions, que le cabinet français eut osé persister à nous faire des ouvertures, contenant des propositions ignominieuses? Et encore par qui nous sont-elles offertes? Par la voie des commissaires tous ex-colons, tous des hommes tarés et flétris dans l'opinion des haytiens, quelle infamie! C'est avec les ci-devant maîtres, que Louis XVIII veut, que les ci-devant esclaves traitent de la manière et dans les formes qu'ils doivent reprendre les chaînes de l'esclavage.

        Comment ces ex-colons se présentent-ils devant nos côtes pour exécuter leur mission? Comme des pirates, qui ont en vue de commettre quelques dépradations, devant les ports d'une nation civilisée. Comment s'y prennent-ils pour communiquer avec nous? Ils profitent d'un bâtiment des Etats-Unis d'Amérique, qu'ils détournent de sa route pour nous faire passer des lettres, qui leur de suite renvoyées, parcequ'elles portaient une suscription injurieuse et insultante au peuple haytien; enfin ils usent de supercherie pour faire passer un de leurs paquets sous un couvert emprunté; sans l'obligation que nous avons contractée (?), de mettre à jour toutes les pièces venant des français, nous les eussions laissés ensevelis dans le plus profond mépris.

        Ils annoncent par leur lettre du 12 Octobre, qu'ils allaient se porter au Port-au-Prince, comme point central et intermédiaire, afin de communiquer avec le Nord et le Sud, tandis que nous étions parfaitement instruits que dès le 5, au soir, ils avaient touché au Port-au-Prince. Les perfides! Ils ne faisaient que de paraître, et qu'ils cherchaient déjà les moyens d'intriguer: ils usaient déjà de ruse et de mensonge pour diviser et tromper.

        Que nous proposent-ils et au pauple haytien par ces pièces? De renoncer à l'indépendance, de rétablir les relations commerciales avec la métropole, enfin de redevenir une colonie française.

        C'est-à-dire de nous dépouiller de nos droits, de nos institutions, de nos lois, et de tous les avantages que nous avons acquis par notre courage, notre persévérance, et par vingt-cing ans de sacrifies, de comabts et de sang répandu.

        Ils ne nous proposent plus la mort ou l'esclavage, il leur en coûterait trop, l'exécution en est impossible: ils emploient des palliatifs pour parvenir au même but.

        C'est après avoir lu notre Acte d'Indépendance, notre Manifeste et l'Acte du Conseil Général de la Nation; c'est après que nous avons découvert tous leurs projets, qu'ils ont osé faire ces propositions, qui sont aussi dégradantes qu'insultantes pour nous, qu'elles sont viles et déshonorantes pour ceux qui ont eu l'impudence des les faire? Il faut qu'ils croyent, en effet, que nous soyons privés de l'intellect, ou plutôt n'en sont-ils pas privés eux-mêmes, pour avoir pu s'imaginer que de semblables propositions eussent été accueillies par nous.

        Renoncer à l'indépendance, ou ce qui est sinonyme pour nous, renoncer à la gloire et à la vie, pour consentir à redevenir esclaves ou à périr d'une mort ignominieuse; de rétablir les relations commerciales avec la métropole; cette proposition est aussi erronée et dénuée de toute espèce de fondemens, que la première est injuste, odieuse et outrageante: il y a quatorze ans que nous avons renoncé à cette soi-disant métropole, lui donner le commerce, ne serait-ce pas admettre sa suprématie? Et quand même qu'elle reconnaîtrait notre indépendance, nous ne pourrions lui accorder le commerce exclusif, si nous le faisions, ce serait agir ouvertement contre nos lois et les intérêts de la nation, et la France ayant perdu ses droits de souveraineté; jamais nous admettrons aucune condition qui pourrait lui donner encore le droit d'exercer une suprématie quelconque sur le royaume d'Hayti; la France nous veut trop de mal et nous en a trop fait, pour qu'elle puisse espérer d'être favorisée dans ses relations commerciales avec nous. Ne connaissez-vous pas les français? N'avons-nous passez fait de funestes et cruelles expériences, pour être éclairés sur leurs projets et nos vrais intérêts? Ne les connaitrions-nous pas, que tous les écrits nous instruisent assez qu'ils ne veulent pas traiter loyalement avec nous; mais qu íls veulent absolument l'esclavage! L'esclavage ou point de colonie, voilà leur système; et s'ils nous font de nouvelles propositions, et qu'ils feignent de les modifier, c'est qu'ils ne peuvent pas nous réduire de vive force dans l'esclavage; alors ils veulent nous tromper et nous endormir sous la foi des traités qu'ils auraient contractés, dans l'intention de pouvoir les violer, aussitôt que l'occasion leur serait favorable; c'est piur avoir osé traité avec eux, que Toussaint Louverture a été leur victime ainsi qu'une infinité d'autres de nos concitoyens. Ressouvenez-vous sans cesse haytiens, des belles et flatteuses promesses, des sermens mêmes de nos Frères devant la République, vous avez éprouvés leur prétendue sincérité; ressouvenez-vous de même des promesses de Louis XVIII, des instructions de son Ministre à ses agens, vous avez la même preuve de cette sincérité: ayez-les toujours devant les yeux ces instructions, et ressouvenez-vous enfin que sans les évènements survenus en France, nous aurions déjà éprouvés des français, sous Louis XVIII, les mêmes injustices, les mêmes horreurs et les mêmes cruautés que sous Bonaparte. Vous êtes les témoins. Les mêmes démarches, les mêmes promesses et les mêmes sermens ont été également mis en usage pour pouvoir nous tromper; il n'a donc manqué que les effets, et ils n'en ont été empêchés que par la force des circonstances: que nous faut-il donc davantage pour y croire? Faudrait-il voir l'exécution des mêmes horreurs, dont nous avons été les victimes, avant de prendre les mesures sages, fortes et décisives que nous prescrivent la la sûreté, le salut et la conservation du peuple haytien?

        Rien n'est changé pour nous: le gouvernement Louis XVIII ne vaut pas mieux que celui de Bonaparte, sa politique artificieuse est toujours la même, tromper et diviser pour nous réduire dans l'esclavage: toujours le même calcul de crime et de sang. S'ils ne peuvent réussir à nous diviser, en armant une partie de la population contre l'autre, ils veulent séparar la cause du peuple d'avec celui du gouvernement. Comme si la cause de l'un n'était pas la cause de l'autre, comme si la ruine de l'un n'entraînerait pas la ruine de l'autre. Les français seront toujours français pour nous, c'est-à-dire nos plus cruels tyrans et nos ennemis les plus implacables. Quel traité put exister entre nous et les ex-colons, entre les ci-devant maîtres et les ci-devant esclaves qui ont brisé leurs fers? Quelles en seraient les conditions? Où en seraient les garanties? Ce qui est la cause de notre bonheur et de notre félicité, fait la cause de leurs tourmens et de leurs infortunes. Donc ils ne peuvent pas vouloir notre liberté et notre indépendance, qui sont les causes de notre félicité. Donc nous ne pouvons ni ne devons traiter avec eux, sans que préalablement nous ayons des garanties d'une grande puissance maritime et des conditions qui soient telles qu'il ne serait pas dans leur puissance de pouvoir les violer; car s'ils traitaient avec nous sans ces garanties de droits et de faits, ce serait dans le dessein de pouvoir nous abuser: c'est donc à nous à les exiger, sans quoi il ne pourrait exister aucune paix durable, ni aucune sécurité pour vous.

        Haytiens! Renoncierez-vous à l'indépendance aujourd'hui, qu'il vous faudrait renoncer à la liberté; et renoncieriez-vous même à la fois à l'une et à l'autre, consetiriez-vous à vivre esclaves des français, qu'il vous faudrait toujours mourir d'une mort ignominieuse!? car ils n'auraient pas plutôt établi leur puissance que les gibets, les bûchers, les échafauds seraient toujours dressés pour vous attendre! Aux moindres signes, aux moindre souffles, aux moindre soupirs que la perte de votre liberté pourrait vous arracher, vous seriez livrés, par vos bourreaux, aux derniers supplices!

        Ainsi donc, vous n'avez pas même le choix de pouvoir vivre esclaves, sous le joug inominieux de ces tyrans; vous n'avez pas d'autres alternatives qui soient dignes de vous, dignes des hommes qui ont conquis leurs droits, que la résolution magnanime que nous avons prise de vaincre ces odieux tyrans par la force de nos bayonettes, afin de pouvoir vivre libres et indépendants, ou de nous faire tous tuer glorieusement sur un champ de bataile. Reconnaîtraient-ils même notre indépendance, qu'il faudrait encore exiger, dans les traités, des conditions qui soient telles, qu'elles leur ôteraient tous les moyens de pouvoir nous troubler et de nous subjuguer par la suite; et indépendamment de ces conditions, il faut encore que nos lois de police et de sûreté nous garantissent et à notre postérité, de ne jamais retomber sous le joug des français et de l'esclavage.

        Car sans ces garanties, ils n'auraient pas plutôt traités avec nous, qu'ils chercheraient les moyens de pouvoir mettre à exécution leurs projets d'esclavage et de destruction. D'abord ils commenceraient, sous le prétexte des affaires commerciales, par s'insinuer parmi nous, bientôt ils trouveraient les moyens de se mêler dans les affaires politiques, de se former des intrigues, de se créer des partisans dans la nation, de rallumer la guerre civile, et lorsqu'ils verraient que notre population corrompue aurait perdue sa force morale, et qu'elle serait dans l'impuissance de pouvoir leur résister, alors ils nous déclareraient la guerre; et encore ils nous feraient une guerre perfide, en se servant de nos propres moyens pour nous combattre et nous détruire! ?

        Dans la même hypothèse, ne serions nous pas obligés d'exercer une surveillance active et continnuelle sur ces hommes remuans, qui viendraient en foule parmi nous, et qui seraient même envoyés dans l'intention de nous troubler? Les actes de sévérité que nous nous verrions forcés d'exercer contre eux, pour notre sûreté, ne seraient-ils pas des sujets continuels de discussion et de rupture avec la France? Ne pourrait-elle pas également, par ses bâtiments de commerce et de guerre qui aflueraient librement dans nos ports, dans les vues de nous envahir, une masse de population qu'elle pourrait renforcer, d'un moment à l'autre et à sa volonté, en jettant par le moyen de ses flottes une armée sur nos plages, qui nous surprendrait à l'improviste, comme elle avait déjà fait après la paix d'Amiens.

        Alors dans cet état de guerre et d'appréhension perpétuelles, où nous serions placés par le manque de sagesse et de prudence, pour n'avoir pas exigé nos sûretés, nous ne pourrions y remédier sans porter atteinte à la foi du traité. Dans ce cas contraint de maintenir nos armée sur le pied de guerre, sans cesse tourmentées et inquiétées par les français, nous supporterions toutes les charges et tous les dangers de notre position, sans pouvoir d'aucun des avantages de la paix; nous ne pourrions pas nous livrer ni à l'agriculture ni au commerce, ni aux sciences et aux arts, qui ne peuvent être cultivés et fleuris que dans un état de paix solide et durable. Ne vaut-il pas bien mieux pour nous d'être dans un état de guerre ouverte et déclarée, que de nous trouver dans un état de paix semblable? Ne vaut-il pas mieux combattre jusqu'à l'extinction, que de jamais consentir à une paix qui nous deviendrait plus onéreuse et plsu préjudiciable, que la guerre la plus destructrice?

        Tel est l'exposé franc et loyal de la véritable situation, où se trouve placé le peuple haytien envers la France. Il est démontré que nous ne pouvons traiter avec elle, sans compromettre notre existence comme peuple et comme individu, à moins d'obtenir les garanties que nous avons tout droit d'exiger.

        Nous n'avons pas seulement à travailler pour assurer l'existence, la liberté et l'indépendance de la génération actuelle; mais il faut encore, que nous travaillons pour assurer la possession et la jouissance de ces biens précieux, aux générations qui viendront après nous, et ce n'est que par nos constans efforts, notre sagesse et notre prudence que nous pourrons y parvenir.

        Le Souverain de la France a déclaré de ne devoir rien faire, en traitant avec nous, qui puisse manquer à ce qu'il doit à la dignité de sa couronne, à la justice et aux intérêtes de ses peuples! Et nous aussi, nous déclarons ne pas devoir manquer à ce que nous devons aux intérêts de nos peuples, à la justice et à la dignité de notre couronne.

        Les grands intérêts du peuple haytien et nos devoirs, nous obligent à faire connaître au monde les puissans motifs qui nous ont porté à prendre cette résolution, pour faire cesser toutes les agressions, les injures et les sanglans outrages que le gouvernement français n'a cessé de faire au peuple haytien, et faire cesser également toutes les prétentions injustes et illusoires de souveraineté, que le gouvernement français pourait encore conserver sur le royaume libre et indépendant d'Hayti.

        A ces causes, nous avons déclaré et nous déclarons solennellement que:



Nous ne traiterons avec le gouvernement français, que sur le même pied, de puissance à puissance, de souverain à souverain, qu'aucune négotiation ne sera entamée, par nous avec cette puissance, qui n'aurait pour base préalable l'indépendance du royaume d'Hayti, tant en matière de gouvernement que de commerce, et qu'aucun traité définitif ne sera conclu par nous avec ce gouvernement, sans que préalablement nous ayons obtenu les bons offices et la médiation d'une grande puissance maritime qui nous garantirait, que la foi du traité ne serait pas violée par le cabinet français;

Lorsque nous traiterons, nous ne consentirons à aucun traité quelconque, qui ne comprendrait la liberté et l'indépendance de la généralité des haytiens qui habitent les trois provinces du Royaume, connus sous la dénomination du Nord, de l'Ouest et du Sud, notre territoire, la cause du peuple haytien étant une et indivisible.

Toutes les ouvertures et communications qui pourraient être faites par le gouvernement français au gouvernement haytien, soit par écrit ou de vive voix, ne seront reçues qu'autant qu'elles seront faites dans les formes et suivant l'usage établi dans le Royaume, pour les communications diplomatiques;

Le pavillon français ne sera point admis dans aucun des ports du Royaume, ni aucun individu de cette nation, jsuqu'à ce que l'indépendance d'Hayti soit définitivement reconnue par le gouvernement français;

Nous déclarons de nouveau, que nos intentions invariables sont de ne pas nous mêler, soit directement ou indirectement, dans les affaires hors du royuame;

Que nos constants efforts auront toujours pour but de vivre en bonne intelligence et en bonne harmonie avec les puissances amies et leurs colonies qui nous avoisinnent; de conserver la plus exacte neutralité et de leur démontrer, par la sagesse de notre conduite, de nos lois et de nos travaux, que nous sommes dignes de la liberté et de l'indépendance;

Nous déclarons et nous protestons en face du Tout-Puissant, des Souverains et des Peuples, que nous avons été mûs à faire cette déclaration, que par l'intérêt général du Peuple haytien, pour la conservation de ses droits et de son existence;

Nous déclarons et nous protestons, quelles que soient les menaces des français pour nous intimider, quelles que soient leurs entreprises pour nous subjuguer, où le genre d'attaque, de crime et de barbarie qu'ils comptent pouvoir exercer contre nous pour y parvenir, rien ne pourra ébranler un seul instant notre résolution. Dussions-nous être exterminés par l'univers conjuré, le dernier des haytiens rendra son dernier soupir, plutôt que de cesser d'être libre et indépendant;

Nous remettons la justice de notre cause dans les mains de Dieu, qui punit toujours les injustes et les agresseurs. Nous soutiendrons la dignité de notre couronne, les droits et les intérêts du peuple haytien, et nous nous reposons avec confiance sur sa bravoure, son zèle et son amour pour la patrie, afin de nous se seconder de tous ses efforts, dans la défense de ses droits, de sa liberté et de son indépendance.

        Donné en notre Palais de Sans-Souci, le 20 Novembre 1816 l'an treizième de l'indépendance, et de notre règne le sizième.

Henry

Par le Roi,
Le Secrétaire d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères,

        De Limonade


cute;rêts du peuple haytien, et nous nous reposons avec confiance sur sa bravoure, son zèle et son amour pour la patrie, afin de nous seconder de tous ses efforts, dans la défense de ses droits, de sa liberté et de son indépendance.

        Donné en notre Palais de Sans-Souci, le 20 Novembre 1816 l'an treizième de l'indépendance, et de notre règne le sizième.

Henry

Par le Roi,
Le Secrétaire d'Etat, Ministre des Affaires Etrangères,

        De Limonade